Les Chenouis du berbère « Ichenwiyen » population berbère d'Algérie d'environ 30 000 personnes habitent le Mont Chenoua qui surplombe la ville de Tipaza à 70 km d'Alger. Le Mont Chénoua, point culminant du Sahel algérois, est la limite orientale d'une région berbérophone qui s'étale de Bou Ismaïl (40 km à l'ouest d'Alger) jusqu'à Ténès (200 km à l'ouest d'Alger).
"j'ai quitté mon chenoua" :-)
Rachid Taha - Ya Rayah (Live)
Le Mont Chenoua, le mont oublié !
On me dit fou de retourner là-bas Là-bas dans ma montagne bien aimée Ne comprendront-ils donc pas Que demeurer sourd me torture ?
Et pourtant je suis retourné Là-bas dans ma montagne bien aimée Immortelle dans sa force profonde Tranquille adorant les cieux Acceuillant des vents farouches Quii soufflent sur son front l'écho de quelques âmes volées
On me dit fou de retourner là-bas Là-bas dans ma montagne bien aimée Ne sauront-ils donc jamais Que dans son sein Je couve mon nid ?
Le soleil frappait fort, l'orsque qu'enfin l'échine grisâtre du Mont Chenoua apparut la pleine bleue était là, majestueuse berçant ses vagues qui se retiraient en signe de révérences saluant le bienvenu. J'eu l'impression de renaître par cette bouffée d'air marin que venait me présenter la reine des mers... Ma montagne tout lâ-haut m'attendait. Dans mon silence je vivais mon Chenoua brisé... Murmures dans la plainte noyée dans les débris du silence des temples C'est l'âme de l'infant martyre qui revient bercer le crépuscule Il revient frémissant, plus doux que jamais de son printemps envolé... Une grande obscursité couvrit la montagne.
Revenez oh ! souvenirs
Revenez à moi
Comme lorsque nous étions enfants
Comme lorsque pieds nus sur les galets
Nous cherchions les petits coquillages enfouis dans l'eau
Quand nous essayions de nos petites mains
d'attraper les petits poissons
Revenez oh ! souvenirs
Revenez à mloi
Réveiller ce bonheur de la nuit tombante
Quand nous chantions le soir
Les étoiles éparpillées sur nos têtes
Tels des papillons en fête...
Sur ma prairie bleue je reviendrai tu sais Je reviendrai un jour l'orsque mon âge aura blanchi mes cheveux Je reviendrai marcher tout le long de tes rives Comme au temps ou mes jambes me faisaient voler.
''Ô brise vois-tu qui monte vers nous ?
C'est l'ami qui reviens près de nous
Et sur sa colline aimée se courbent les oliviers
Il erre candide sur l'étendue des ruines
Il revient à chaque lune éblouir les Dieux''
La terre a bougé, basculant les entrailles des mers
La mer a grondé une nuit crachant sa solitude
La mer a pleuré sur le Mont chenoua
L'oubli de ceux qui ne sont pas revenus.
S'abreuver de ses coquilles et de son eau salée...
A l'occasion de la saison culturelle "Djazaïr, une Année de l'Algérie en France", Olivier BARROT présente le livre de l'écrivain et romancière algérienne Assia DJEBAR "La Femme sans sépulture". Ce roman est un hommage à Zoulikha, une héroïne de la guerre d'Algérie. Couverture du livre "La femme sans sépulture" avec photo couleur d'un tableau non identifiée.
Cent trois journalistes palestiniens tués à Gaza, interdiction d’Al-Jazira : Israël est loin d’être un paradis pour les voix critiques, comme le prouve la baisse de sa note au classement Reporters sans frontières de la liberté de la presse. De son côté, le discours dominant dans les médias européens exclut souvent les Palestiniens du champ politique. Comment écrit-on sur la Palestine quand on est à Jérusalem ? Observations d’une reporter française après cinq ans sur place.
Depuis plus de sept mois, les journalistes qui travaillent sur Gaza sont privés d’accès au terrain. L’État israélien interdit aux médias étrangers de se rendre dans l’enclave palestinienne, toujours considérée par l’Organisation des Nations unies (ONU) comme un territoire occupé par Israël, même après le retrait unilatéral décidé en 2005 par le premier ministre de l’époque, Ariel Sharon.
Quiconque s’est déjà rendu à Gaza n’a de doute sur la réalité de cette occupation. On ne voyait pas de soldats ni de colons israéliens au coin des routes, cependant Israël contrôlait les cieux. En permanence, résonnait le bourdonnement des drones, encore plus obsédant la nuit lorsqu’ils volaient à basse altitude. Les pêcheurs gazaouis qui tentaient de s’aventurer au-delà du périmètre autorisé par l’armée – sans cesse modifié – se faisaient tirer dessus par la marine israélienne. Et les agriculteurs risquaient de se prendre une balle s’ils s’aventuraient trop près de la barrière séparant Gaza du territoire israélien. Depuis le 9 octobre, l’enclave est coupée du monde par Israël qui laisse entrer une infime partie de l’aide humanitaire, bien trop insuffisante.
À EREZ, UNE FOUILLE MINUTIEUSE ET SOUVENT HUMILIANTE
Avant octobre 2023, les journalistes étaient parmi les rares à pouvoir visiter Gaza, sous blocus israélien depuis 2007. Non sans difficulté, il fallait obtenir une carte de presse israélienne, délivrée par le bureau gouvernemental de presse, qui convoquait parfois les reporters dont il n’appréciait pas beaucoup le travail pour une « discussion », avant la remise en main propre du précieux sésame. Il fallait aussi obtenir un permis auprès du Hamas. Un reportage réalisé un peu trop près du grillage séparant Gaza d’Israël sans avoir demandé d’autorisation préalable m’a valu quelques invitations à prendre un café au ministère de l’intérieur à Gaza. Dans l’enclave palestinienne, nous devions être systématiquement accompagnés d’un fixer : un journaliste gazaoui qui nous ouvrait les portes et son carnet d’adresses.
Aller à Gaza était donc coûteux. On s’y rendait en général plusieurs jours, pour une série de reportages. Le terminal d’Erez, point de passage entre Israël et Gaza, n’était ouvert qu’en semaine jusqu’à 15 heures, et fermait pendant les fêtes juives. Au retour, les journalistes subissaient une fouille minutieuse et souvent humiliante : depuis leurs bureaux vitrés en hauteur, des soldats israéliens nous donnaient des ordres par interphone. En bas, avec nous, les employés du checkpoint étaient tous arabes.
Les Palestiniens étaient encore plus malmenés. Nombre d’entre eux étaient de surcroît malades, car c’était l’un des rares motifs justifiant d’obtenir un permis de sortie par Erez. J’ai ainsi vu de mes propres yeux une vieille femme en chaise roulante obligée de passer un tourniquet debout, soutenue par les employés du terminal. Après avoir passé le contrôle, nos affaires nous étaient rendues éparpillées. Certains retrouvaient du matériel cassé ou s’étaient fait voler des produits de beauté.
UNE COUVERTURE DÉSINCARNÉE
Ce n’est pas la première fois qu’Israël bombarde à huis-clos. Depuis mon arrivée à Jérusalem en 2018, dès qu’une opération militaire dure plus de quelques heures, Erez se retrouve fermé. Mais ce qui est inédit, en revanche, c’est la durée. Sept mois. Ma dernière visite à Gaza remonte à juin 2023. Pour une fois, j’avais un peu de temps. Je réalisais un reportage sur la coopération culturelle et, contrairement à mes dernières visites en mai 2021 et août 2022, l’enclave vivait une période d’accalmie relative.
De nouveaux restaurants et cafés avaient ouvert sur la corniche. À l’hôtel Deira, des étudiant·es fêtaient leur diplôme de master, dansant et riant sur des tubes égyptiens à la mode, face à la mer. Le matin, les coups de sifflet des maîtres-nageurs résonnaient sur les plages. Ils envoyaient des troupes de petits garçons en short et maillot de corps, affronter les vaguelettes de la Méditerranée. Depuis un an, la mer était propre, grâce à des travaux sur les infrastructures, financés par les bailleurs internationaux. Des souvenirs qui contrastent violemment avec les images parvenant de Gaza aujourd’hui. Désormais seuls sur le terrain, les journalistes palestiniens accomplissent une minutieuse documentation dans des conditions dantesques, payant parfois de leur vie ce travail essentiel.
Une partie de moi ne réalise pas l’ampleur des dévastations. La distance rend certaines réalités moins tangibles. C’est le but : nous garder hors-jeu. Qu’on ne sente pas, qu’on ne vive pas dans notre chair l’horreur des massacres israéliens à Gaza. Malgré tous les efforts déployés, notre écriture reste désincarnée. Il y a des événements qu’on ne voit pas. Depuis des mois, on est submergé de récits terribles et on manque de temps pour tout confirmer et documenter. Parfois, les informations sont vérifiées plus tard, alors que la machine médiatique est déjà passée à autre chose. D’autres fois il est impossible, en quelques minutes au téléphone, d’aborder certains sujets. Quel parent raconterait à une inconnue au bout du fil ce qu’il ressent après avoir enterré le corps déchiqueté de son enfant ? Un ami gazaoui sorti de l’enclave me confiait le mois dernier : « Ce que je vois dans les médias ne reflète pas le dixième de ce que nous avons vécu. »
LES BOMBES ISRAÉLIENNES HORS CHAMP
Cette distance crée un déséquilibre. Après le 7 octobre, des envoyés spéciaux du monde entier ont été dépêchés en Israël pour couvrir les crimes du Hamas et des combattants palestiniens dans les kibboutz. Pendant de longues heures, ils ont interviewé les rescapés, photographié les lieux, les mémoires. À Tel-Aviv, ils ont enchaîné les directs sous le feu des roquettes palestiniennes. Les bombes israéliennes, même lorsqu’elles anéantissent une famille entière en quelques secondes sont restées, elles, majoritairement hors champ, faute de journalistes étrangers sur place. La fumée des explosions, le bruit, la peur dans l’enclave palestinienne n’ont pas saturé les écrans occidentaux.
Ceux du monde arabe, en revanche, si. Car les images existent : nos consœurs et confrères palestiniens réalisent un travail remarquable. Les images sont, pour beaucoup, atroces. Elles alimentent une grande partie de nos articles. Ces journalistes sont nos yeux et nos oreilles sur place, les seuls témoins des massacres en cours. Leur courage est immense et ils devraient être davantage sollicités par les médias occidentaux. Le discrédit que certains cherchent à attacher à leur travail, sous le seul prétexte qu’ils sont Gazaouis, devrait être dénoncé avec force.
Car les Palestiniens documentent avec précision leur propre histoire. Pourtant souvent, elle n’est exposée que lorsque d’autres, non-Palestiniens, s’en emparent pour l’analyser. Ainsi, les récits de la Nakba (la catastrophe), l’exode de 900 000 Palestiniens avant et après la création d’Israël en 1948, ont émergé notamment après le travail des « nouveaux historiens » israéliens qui, dans les années 1980, ont exhumé des archives israéliennes et britanniques documentant cette période. Depuis longtemps, les Palestiniens avaient déjà compilé les récits des réfugiés, sans rencontrer le même écho.
UNE ANALYSE CLÉ EN MAIN
De même, pour documenter ce qui se passe en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, les médias occidentaux s’appuient beaucoup sur des sources israéliennes : sécuritaires, politiques ou médiatiques. En Israël, la presse écrite est relativement libre bien que très orientée, à l’exception de quelques publications, notamment le quotidien Haaretz. Les journaux israéliens sont facilement accessibles : une partie sont traduits en anglais. L’équivalent côté palestinien n’existe pas. En anglais, la chaîne qatarie Al-Jazeera est la plus exhaustive. Aujourd’hui, sa couverture de Gaza est unique, avec des reporters presque partout et une large variété de sources. Elle n’est pas locale, mais elle est née de la volonté de placer la question palestinienne au centre de sa couverture. Sa présence en Israël est mise en cause : le 1er avril dernier, le parlement israélien a voté une loi permettant d’interdire la diffusion en Israël de médias étrangers portant atteinte à la sécurité de l’État, ce que le gouvernement israélien vient de faire pour Al-Jazeera. Les autres médias sont en arabe, comme Arab 48, le journal en ligne des Palestiniens citoyens d’Israël, l’un des rares à couvrir l’actualité israélienne et palestinienne avec des analyses et des actualités factuelles.
De manière générale, trouver des informations côté israélien est relativement facile : les numéros de téléphone des responsables et porte-paroles gouvernementaux sont accessibles sur un site internet référencé. Le bureau gouvernemental de presse publie des extraits de discours des responsables politiques et organise des tours thématiques en Israël ainsi que dans les colonies. D’autres organismes proposent des visites de terrain aux journalistes étrangers et des visioconférences en anglais avec des chercheurs, professeurs ou anciens responsables de l’armée.
Dans l’urgence médiatique, lorsque l’article est à rendre dans deux heures, recueillir une analyse « clé en main » sur une actualité qui vient de tomber est évidemment bien pratique. À mon arrivée dans le pays, l’un des premiers courriers électroniques reçus émanait de l’organisation Israel Project1qui n’existe plus aujourd’hui. À l’époque, ce lobby mettait en contact les journalistes avec toutes sortes d’experts et responsables politiques. Israel Project organisait des soirées « whisky et sufganiyot » (beignets dégustés lors de la fête juive de Hanoukka), en plus de visites dans le pays. À une période, celles-ci se faisaient en hélicoptère pour « comprendre la géographie d’Israël », pays pourtant bien plus petit que la France.
LA CHRONIQUE DES MORTS PALESTINIENNES DANS L’INDIFFÉRENCE DU MONDE
Avant le 7 octobre, la communauté internationale avait embrassé la marginalisation de la question palestinienne orchestrée par Israël. Les manifestations monstres qui secouaient le pays depuis le début de l’année 2023 intéressaient bien davantage les rédactions. Peu de médias parlaient de la répression féroce de l’armée israélienne en Cisjordanie, depuis une série d’attentats en Israël au printemps 2022 et l’émergence de poches de résistance dans différentes villes comme Naplouse ou Jénine. En juin 2023, au cours de quelques semaines, j’avais couvert l’assassinat d’un petit garçon de deux ans et demi, Mohamed Tamimi, par un sniper israélien devant chez lui, à Nabi Saleh, dans le centre de la Cisjordanie. Un jeune Palestinien, Omar Jabara, avait également été tué d’une balle dans la poitrine par la police israélienne alors qu’il tentait de défendre son village, Turmus Ayya, aux alentours de Ramallah, contre une attaque de colons particulièrement violente. Mon travail consistait à tenir la chronique des morts palestiniennes, dans l’indifférence du monde. Cumulés, le nombre de personnes tuées atteignait des niveaux inégalés depuis des années. Cependant au jour le jour, certains passaient sous les radars, et l’effet de masse était effacé.
Probablement l’un des plus scrutés, le récit médiatique sur la Palestine est façonné par des poncifs qui brouillent la réalité sur le terrain. Après quelques semaines à Jérusalem et quelques lectures, il apparait vite évident que décrire la situation comme un « conflit entre deux parties » est totalement inopérant. Il s’agit bien d’une situation coloniale, avec un État colon et un peuple colonisé, privé de son droit à l’autodétermination. Que signifie donc le concept de « coexistence » au sein même de la société israélienne, alors qu’ONG israéliennes et internationales ont documenté une situation d’apartheid ?
Ces dernières semaines, le récit autour de Gaza tend à se cristalliser autour de la question humanitaire. On invite des travailleurs d’ONG à répondre à l’armée israélienne en plateau plutôt que de laisser la parole aux Palestiniens. Ces derniers sont des abstractions, ils sont dépolitisés. Rapporter leurs voix, les replacer au centre du récit et leur donner une importance vaut d’être taxé de militant·e. Une manière de décrédibiliser le travail effectué, présenté comme forcément partial et hors du cadre de « l’objectivité journalistique ».
UN TRAVAIL SOUS PRESSION
Lorsqu’on se trouve sur le terrain, certains biais deviennent évidents. Ainsi, depuis des décennies, dans le récit médiatique dominant, les Palestiniens « meurent » ou « périssent » quand les Israéliens sont « tués ». En 2021, alors que des foules de jeunes hommes prenaient la rue, parfois violemment, pour affirmer leur identité palestinienne tout en étant détenteurs d’un passeport israélien, ils étaient partout décrits comme des « Arabes israéliens ». Eux se percevaient comme « Palestiniens citoyens d’Israël ». C’est donc ainsi que je l’ai écrit dans mes articles, parce que cette désignation contient une revendication identitaire — celle d’être Palestinien. Perçue par Israël comme une menace, elle a déclenché une avalanche de réactions indignées à mon encontre, dont une série de tweets d’un représentant des autorités israéliennes. Pourtant, qui sont ces 20 % d’Israéliens, s’ils ne sont pas les descendants de Palestiniens restés sur leurs terres au moment de la Nakba, et ayant de cette façon obtenu la citoyenneté israélienne ?
Dans une tour du sud de Jérusalem, une armada d’employés du bureau gouvernemental de presse israélien épluchent soigneusement les productions des médias internationaux sur Israël, en langue originale. Puis, un de leurs représentants vient se plaindre de l’utilisation de tel ou tel terme, dénonce un « manque d’éthique journalistique » ou remet en question des informations, parfois sur X (ex-Twitter), parfois directement par email, sans toujours mettre l’auteur en copie mais en s’adressant directement à sa hiérarchie. En 2018, l’ambassadrice d’Israël en France avait demandé par écrit à la direction de France Télévisions d’annuler la diffusion d’un reportage d’Envoyé spécial consacré aux milliers de manifestants blessés par les balles des snipers israéliens le long de la barrière séparant Israël de la bande de Gaza lors de la « marche du retour ». La chaîne publique n’avait néanmoins pas cédé.
Des sites internet effectuent également ce travail de surveillance, en publiant des articles à charge contre des reportages ou des analyses. Aux États-Unis, les plus puissants sont Canary Mission ou Camera. En France, à une échelle bien plus modeste, le site internet InfoEquitable du journaliste de France Télévisions Clément Weill-Raynal décortique les productions de médias francophones. Ces pressions ne sont pas sans conséquence. Certaines rédactions cèdent, modifient ou s’abstiendront la prochaine fois. Inconsciemment aussi, parfois, s’insinue l’autocensure.
La pression s’est étendue aux organisations humanitaires et aux universitaires. Souvent, sous un article à propos de Gaza posté sur internet, certains écrivent : « Et les otages ? » Une assignation à la symétrie, comme si les souffrances des Palestiniens devaient être ramenées à celles des Israéliens, constamment. Cette question fait écho à une autre, que m’ont posée beaucoup d’Israéliens depuis cinq ans : « Pourquoi vous n’écrivez pas sur le génocide ouïgour ou le Soudan ? » Comme si les crimes commis ailleurs dédouanaient les crimes commis ici. « J’ai choisi de travailler à Jérusalem, c’est de cet endroit dont je parle », leur répondais-je.
Alors que des discussions sont toujours en cours pour une trêve entre le Hamas et Israël et que l’inquiétude monte au sujet d’une possible offensive à Rafah, le Qatar appelle à empêcher un « génocide ».
Un enfant devant un batiment détruit dans un bombardement israélien à Rafah, dans la bande de Gaza, le 8 mai 2024. - / AFP
Le Qatar a appelé mercredi 8 mai la communauté internationale à agir pour empêcher un « génocide » à Rafah, face à la menace d’une offensive d’ampleur de l’armée israélienne sur cette ville devenue un refuge pour 1,4 million de Palestiniens à la lisière sud de la bande de Gaza.
Le pays du Golfe, médiateur dans les négociations sur une trêve entre Israël et le Hamas palestinien, a appelé dans un communiqué « à une action internationale urgente qui permettrait d’empêcher que la ville ne soit envahie et qu’un crime de génocide ne soit commis ».
L’armée israélienne a multiplié les frappes aériennes mercredi dans plusieurs secteurs de la bande de Gaza, notamment à Rafah où elle a déjà déployé des chars mardi et pris le contrôle du passage frontalier avec l’Egypte. Doha a critiqué mercredi la prise de ce passage stratégique, ajoutant « condamner fermement » les bombardements sur la ville, dont les quartiers ont été évacués par des dizaines de milliers de familles à la suite d’un appel des autorités israéliennes en prévision d’une éventuelle opération terrestre.
Des discussions en cours pour une trêve
L’appel du Qatar intervient alors que les médiateurs égyptien, qatari et américain tiennent des discussions au Caire en vue d’un cessez-le-feu et une libération des otages retenus dans le territoire palestinien.
En représailles, Israël a lancé une opération militaire dans la bande de Gaza qui a fait jusqu’à présent 34 789 morts, principalement des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.
En Libye, les années 2020 ont vu l’émergence d’un environnement favorable aux affaires, avec une diversification des sources d’approvisionnement et une demande intérieure portée par les milices. Malgré les efforts de la communauté internationale pour freiner le phénomène, les conflits ravivés ces derniers mois aux frontières du pays confortent la Libye dans sa place de plateforme régionale.
22 juillet 2020. Des ingénieurs militaires du Gouvernement d’entente nationale libyen (GNA), reconnu par l’ONU, trient les munitions et les explosifs découverts dans les zones au sud de la capitale, avant de les éliminer à Tripoli, la capitale libyenne.
Mahmoud TURKIA/AFP
C’est une bien curieuse indiscrétion que les militaires russes ont commise à Tobrouk, grande ville de l’est libyen, ce dimanche 14 avril 2024. Sur des images publiées par le média libyen Fawasel1 en fin de journée, une dizaine de camions militaires KamAZ progressent le long de la jetée vers les entrepôts du port de la ville, leur cargaison recouverte de grandes bâches vertes.
Peu de doutes subsistent sur la nature des éléments transportés, également visibles sur la vidéo. Bâchés eux aussi, l’allure et les dimensions des deux petits chariots trahissent la présence de mortiers lourds. La source anonyme qui a fourni ces images à Fawasel a aussi précisé qu’il s’agissait de « la cinquième livraison d’équipement militaire à Tobrouk en quarante-cinq jours ». Une dernière livraison a même été observée par imagerie satellite en source ouverte aux alentours du 20 avril, sans qu’aucune image ne fuite sur les réseaux sociaux cette fois-ci.
Depuis 2018 au moins, le soutien de Moscou au maréchal Khalifa Haftar nourrit en partie le monopole de ce dernier sur l’est du pays, face au gouvernement de l’ouest basé à Tripoli et reconnu par l’Organisation des Nations unies (ONU). Néanmoins, « c’est la première fois que les Russes font délivrer de l’équipement militaire d’une manière aussi massive et aussi provocatrice », relève Jalel Harchaoui, chercheur associé au RUSI et spécialiste de la Libye.
La provocation est de taille, puisque ces livraisons violent frontalement l’embargo sur les armes voté par l’ONU en 2011. En mars 2021, il avait d’ailleurs été qualifié de « totalement inefficace » par le groupe d’experts de l’ONU sur la Libye. Selon Harchaoui, la Libye peut désormais être considérée comme « un espace qui agit telle une véritable plateforme, une plaque tournante du trafic d’armes ».
DES IMPORTATIONS DIFFICILES À JUGULER
Ces dernières années, la communauté internationale a pourtant multiplié les efforts pour appliquer l’embargo sur les armes. En mars 2020, l’Union européenne (UE) a ainsi lancé l’opération Irini, en Méditerranée centrale. « Vingt-trois pays sur les vingt-sept États membres y contribuent, c’est-à-dire que tout le monde y voit un intérêt stratégique », explique l’amiral français Guillaume Fontarensky, commandant adjoint de l’opération.
Les navires déployés patrouillent entre la Sicile et la Crète, au large des côtes libyennes. Ils sont guidés depuis le quartier général de l’opération Irini, établi dans une base de l’armée italienne à Rome. « Ici, nous avons en permanence des militaires qui suivent l’évolution de la situation, et réagissent en cas de besoin », souligne l’amiral Guillaume Fontarensky. À l’aide de sources ouvertes et de moyens techniques propres, ces opérateurs scrutent la mer à la recherche de cargos suspects.
« Concrètement, ce que l’opération a intercepté en quatre ans, ce sont surtout les gros colis, note l’amiral Fontarensky, car ils sont bien plus visibles que des munitions ou des armes de poing ». En juillet puis en octobre 2022 par exemple, 146 véhicules blindés, comme des pickups modifiés et des BATT-UMG (véhicules blindés) ont ainsi été saisis sur des bateaux de transports marchands. Il s’agit de l’une des plus grosses prises de l’opération Irini à ce jour.
Malgré ces succès, les militaires sont confrontés à plusieurs obstacles, telle que l’absence de collaboration des autorités libyennes. « Il n’y a pas de situation politique stable, avec une administration unifiée, et un corps de garde-côte identifié par exemple, poursuit l’amiral, nous aurions tout intérêt à faire du développement capacitaire auprès des Libyens ».
Autre difficulté : la multiplication des acteurs extérieurs qui cherchent à envoyer des armes en Libye. Pour les interceptions de 2022, le premier navire a été dérouté après avoir franchi le canal de Suez, tandis que le second avait été identifié quelques mois plus tôt pour avoir livré à Benghazi des blindés légers fabriqués aux Émirats arabes unis. « Il est clair que le pays est exposé à de multiples influences, qui engendrent de multiples instabilités », reconnaît l’amiral Fontarensky. Certains pays comme la Turquie et plus récemment la Russie n’hésitent pas à faire escorter certains cargos pour la Libye par des bâtiments militaires, dans une logique dissuasive.
DES RÉSEAUX D’APPROVISIONNEMENT TENTACULAIRES
« Il y a d’abord les acteurs qui disposent d’une vision stratégique en Libye », indique Jalel Harchaoui. Les saisies de l’opération Irini en 2022 pointent du doigt le rôle croissant joué par les Émirats dans l’approvisionnement du marché libyen. À l’instar de la Russie, cette monarchie du Golfe soutient activement le maréchal Haftar depuis plusieurs années. Entre 2013 et 2022, le groupe d’experts de l’ONU2 a relevé des dizaines de violations de l’embargo, concernant parfois de l’armement lourd : hélicoptères Mi-24, drones Wing Loong, ou système de défense antiaérien Pantsir
L’épisode des livraisons de matériel russe à Tobrouk révèle aussi l’importance que le port en eaux profondes de l’est libyen pourrait prendre pour le Kremlin. « Il faut s’attendre à d’autres livraisons de ce type », avertit le chercheur. Déjà impliquée dans la livraison d’armement lourd en Libye, la Russie déploie désormais sa nouvelle organisation militaire sur le continent, l’Africa Corps. Ses hommes ont remplacé le groupe Wagner en Libye, et s’installent aujourd’hui dans des pays frontaliers comme le Niger. « Réaliser de grosses livraisons maritimes en quelques heures représentera un atout à l’échelle quasi-continentale », remarque Harchaoui.
La Turquie a également été pointée du doigt par le député européen Özlem Demirel au Parlement européen le 23 juin 20203 pour ses violations régulières de l’embargo, en forçant le passage en Méditerranée centrale afin de livrer des armes lourdes à ses alliés de l’ouest libyen. Harchaoui souligne aussi le rôle joué par de « petits acteurs sans idéologie » telle que la Syrie de Bachar Al-Assad, dont l’objectif « est simplement de vendre des armes ». Le chercheur rappelle enfin l’importance des filières liées au crime organisé « qui n’ont pas de préférence pour l’ouest ou l’est ».
Des acteurs mafieux établis des Pays-Bas à l’Inde, en passant par la Turquie. « C’est un marché mûr, avec une vraie diversité de provenance », résume le chercheur. Il ajoute que ce type d’acteurs s’adonne bien plus rarement à la livraison d’armement lourd : « En dehors de livraisons spéciales, il s’agit surtout d’armes légères, comme des pistolets et des fusils ».
UN MARCHÉ DOMESTIQUE FOISONNANT ET DÉRÉGULÉ
Une fois en Libye, ces armes nourrissent d’abord la demande intérieure. Si la guerre entre l’est et l’ouest a pris fin en octobre 2020, le contrôle du territoire reste fragmenté entre une multitude de groupes armés. « En Libye, l’État est constitué de milices, qui sont les seuls organes à projeter sa puissance », précise Jalel Harchaoui. Selon lui, l’effacement des « acteurs purement idéologiques » tels que les groupes djihadistes s’est fait au profit des milices qui ont eu « le talent de comprendre la logique de l’argent » en associant leur mandat paramilitaire à des activités criminelles.
Un rapport publié en mars 2024 par le Small Arms Survey4 se penche par exemple sur le cas de la ville côtière de Zawiya, à 40 km à l’ouest de Tripoli. Sur les quatre milices présentes à Zawiya, « trois sont profondément impliquées dans l’économie illicite ». Dans ce contexte, peu de freins sont posés aux échanges d’armes à feu à l’intérieur de la Libye. « Si vous êtes une milice qui a de l’argent, vous pouvez vous armer facilement », affirme Jalel Harchaoui.
Il n’est même pas nécessaire de se rendre en Libye pour percevoir la facilité avec laquelle les armes s’échangent. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses pages et groupes, parfois publics, proposent de mettre en relation acheteurs et vendeurs. Sur l’un de ces canaux, ouvert par des miliciens d’un groupe armée de Zintan (à l’ouest), de nouvelles annonces sont postées chaque jour. Grenades, fusils d’assaut, mitrailleuses lourdes, mais aussi mortiers, lance-roquettes et canons antiaériens : tout ou presque est mis en vente. En février 2024, une annonce proposait même un lanceur de missiles antichar Milan, développé par le groupe franco-allemand Euromissile.
La plupart des membres ne prennent même pas la peine de rendre leurs comptes anonymes. Les profils donnent à voir de jeunes hommes en treillis, originaires de l’ouest comme de l’est. Ils communiquent avec clarté sur la provenance des armes. « On les a ramenées de Tchéquie », assure un vendeur en envoyant la vidéo de kalachnikovs qu’il met en vente à 3800 dinars (740 euros). « Tout est en place, elles marchent bien. On fait les deux à 6000 dinars », signale l’annonce datée du 12 avril 2024.
NOUVEAUX CONFLITS, NOUVEAUX CLIENTS
La stabilisation relative du paysage politique libyen a un effet pervers. « Puisqu’en ce moment il n’y a pas de guerre en Libye, les groupes armés n’achètent pas de manière euphorique, et les armes peuvent sortir », alerte Jalel Harchaoui. De plus, les nouveaux conflits qui ont éclaté aux portes de la Libye ces derniers mois remobilisent les filières du trafic d’armes régional.
C’est le cas du Soudan par exemple, où la guerre civile fait rage depuis avril 2023 entre l’armée et les rebelles des Forces de soutien rapise (FSR). « La Libye est en train de devenir l’une des plus importantes plateformes pour les FSR », avance Hager Ali, chercheuse au German Institute for Global and Area Studies et spécialiste du Soudan5. Officieusement soutenus par les Émirats arabes unis, les FSR bénéficient de livraisons « de munitions, de carburant, de matériel médical et logistique depuis le mois d’avril 2023 », effectuées par les hommes du maréchal Haftar. « Il y a différentes routes de trafic entre la Libye et le Soudan », poursuit la chercheuse qui met également en exergue le rôle de « certains axes passant par le Tchad ». L’objectif des Émirats est de brouiller les pistes : « Plus il y a de pays de transit pour l’envoi d’armes, plus il est difficile de les retracer jusqu’à leur expéditeur ».
Dans les pays du Sahel, l’arrivée des juntes au pouvoir a provoqué un regain des tensions au niveau régional. Pour le Mali par exemple, un rapport publié en janvier 2024 par Small Arms Survey établit que « du matériel utilisé par les groupes extrémistes est arrivé par de récents flux illicites provenant de Libye ». Des armes essentiellement légères, comme des obus serbes, des mitrailleuses chinoises ou encore des grenades jordaniennes. Si le Mali avait déjà bénéficié de flux d’armes libyens dans les années 2010, le rapport précise que « ces convois étaient devenus peu fréquents aux alentours de 2017 ». Contactés, les auteurs du rapport estiment probable que les armes libyennes soient également achetées par des acteurs extrémistes au Burkina Faso ou au Niger, d’autant plus que ce dernier partage une frontière avec la Libye et constitue un lieu de passage pour les trafiquants.
« C’EST ENCORE PLUS FACILE SI CE SONT DES GRENADES »
« Il n’y a plus le côté "déversement chaotique" d’armes comme en 2013-2014 », reprend Harchaoui. « Aujourd’hui, la Libye est un endroit où vous pouvez faire votre shopping. Un supermarché dont les limites restent purement économiques ».
Adam6, la trentaine, a rejoint la Libye il y a quelques mois. Entre 2018 et 2023, le jeune homme combattait pour un groupe de rebelles anglophones au Cameroun. « Ma dernière mission était sanglante. On a arrêté mes parents, donc je me suis enfui du pays », souffle-t-il. Adam garde des liens avec les indépendantistes anglophones. Selon le jeune homme, « il est tout à fait possible d’envoyer des armes par la Libye puis le Niger, mais ça coûte de l’argent ». Sur de telles distances, Adam précise cependant qu’il est possible de transporter que des armes légères, « des fusils, des pistolets… C’est encore plus facile si ce sont des grenades ». Pour une rébellion aux ressources financières limitées, le calcul est vite fait, et les anglophones « préfèrent acheminer les armes depuis le Nigeria », un pays voisin.
Adam reconnaît toutefois plusieurs avantages au marché libyen. « Ici, les policiers ne vérifient pas vraiment les véhicules, ils se soucient surtout de l’argent qu’ils vont toucher », livre l’ex combattant. Le jeune homme dit trouver « dommage qu’il n’y ait pas plus de livraisons venant de la Libye », louant la qualité du matériel disponible sur place. « Certains fusils que je vois ici sont de très bonne qualité… Des armes russes, turques, françaises ».
Il était une fois un imam… non pas dans l’ouest mais plutôt à l’ouest… et qui prétend en savoir long sur l’Islam… mais il ne faut pas le croire pour autant… il est tout bêtement arrivé avant et s’est placé devant. C’est ce qui lui a permis de prendre les devants et de considérer qu’il était favorisé quant à l’âme. Et donc autorisé à distribuer les louanges et les blâmes… De qui s’agit-il ?
Le 7 mai 1954, après 57 jours de combat, le camp de Dien Bien Phu tombe aux mains des soldats vietminh. Cette bataille a coûté la vie à plusieurs milliers de soldats français. 11 721 autres sont capturés et envoyés en camp de "rééducation". Plus de 8 000 n'en sont jamais revenus. En hommage, Jean-Pax Méfret a interprété DIEN BIEN PHU sur la scène de l'Olympia.
semperfidelis Ven 10 Aoû - 9:28
DIEN BIEN PHU
C'était un coin du monde, en Asie, loin de tout Encadré de montagnes, hérissé de bambous Au fond d'une cuvette, parsemée de collines Et tout autour creusées de profondes ravines.
Pitons nus, baptisés Dominique, Isabelle, Huguette, Anne-Marie, Eliane et Gabrielle Et aussi Béatrice, noms de filles ou de femmes Points d'appuis qui un jour furent couronnés de flammes.
Théâtre de batailles furieuses et sans pitié Ou sont ensevelis des soldats sacrifiés Vietnamiens francophiles, sapeurs et légionnaires Fantassins, artilleurs et paras légendaires.
Combattants sans reproche, de par le sang versé Pour l'honneur de la France et pour la liberté Cette terre étrangère, si lointaine pour vous Cette vallée sanglante s'appelait "Dien Bien Phu"
Le commandant Marcel Bigeard à Diên Biên Phu, en novembre 1953. API / GAMMA-RAPHO_KEYSTONE
Décryptage A Diên Biên Phu, pour la première fois, la France coloniale est battue par ses colonisés. Trois mois plus tard, les indépendantistes algériens prendront le relais, face à une armée française traumatisée…
Il y a eu Diên Biên Phu, puis rideau. Au sein de la société française, dès le lendemain du 7 mai 1954, le souvenir de la guerre d’Indochine a sombré dans un trou noir. Diên Biên Phu a été un point final, la dernière bataille frontale menée par l’armée française. Un épisode humiliant de boue et de sang, une équation militaire sans solution, un « Verdun sans la voie sacrée » selon l’expression du général de Castries.
Dans les médias français, l’Indochine, déjà peu présente, disparaît. Sa mémoire est restée enfermée dans les têtes des survivants, ces engagés qui ont eu la chance d’échapper à la mort. Sur les quelque 37 000 soldats qui ont été faits prisonniers par le Vietminh pendant la guerre (pour une moitié, des Français, des Nord-Africains et des Africains de l’armée coloniale ainsi que des Allemands recrutés dans les camps de prisonniers, et, pour l’autre moitié, des autochtones), seuls 10 000 sont rentrés vivants.
Ils ont vécu un cauchemar concentrationnaire, parfois pendant plusieurs années. Beaucoup, en débarquant à Marseille, ont dû encore essuyer les huées des dockers CGT, hostiles à la guerre « impérialiste ». Humiliation ultime, ils ont ensuite été interrogés par la sûreté militaire, qui traquait les possibles espions « retournés » par les communistes.
Une armée de va-nu-pieds
Peu de romans (à part ceux de Jean Lartéguy et de Pierre Schoendoerffer) ; des films qu’on compte sur les doigts d’une seule main (« la 317e Section », en 1965, et « Diên Biên Phu », en 1992, de Pierre Schoendoerffer, « Indochine », de Régis Wargnier en 1992) ; une très grande rareté de travaux universitaires… Comment un conflit de sept ans (sept ans !), faisant près de 90 000 morts côté français, a-t-il pu être ainsi gommé de la mémoire française ?
Les pertes militaires françaises de la guerre d’Indochine
On estime les pertes militaires françaises de la guerre d’Indochine à plus de 47 000 soldats métropolitains, légionnaires et africains, ainsi que 28 000 autochtones combattant dans le CEFEO et 17 000 dans les armées des Etats associés de l’Indochine. Les pertes du Viêt-minh sont, quant à elles, évaluées à près de 500 000. (source : ministère de la Défense).
A l’aube des Trente Glorieuses, sans doute, la France est davantage préoccupée par l’achat de la 4CV, le logement, l’éducation des enfants. Elle ne tient pas à ruminer cette défaite humiliante. Cette guerre si lointaine, menée par des engagés et des légionnaires étrangers, était déjà si peu populaire… On détourne donc les yeux. Personne ne fait attention au retour des quelques milliers de rapatriés d’Indochine, dont les couples mixtes, veuves et métis accueillis dans les baraquements des camps de Bias et Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne) ou de Noyant (Allier).
Pour Benjamin Stora, le grand spécialiste de la guerre d’Algérie, qui a vécu à Hanoï pendant deux ans, au milieu des années 1990, une explication écrase toutes les autres : « La guerre d’Algérie a recouvert l’Indochine. Il ne faut jamais oublier qu’elle commence moins de six mois après Diên Biên Phu. » Ces deux guerres coloniales, si dissemblables, sont intimement liées. L’une est la mère de l’autre.
Pour comprendre ce lien, il faut imaginer la stupeur causée dans le monde entier par la défaite d’une armée française appuyée (et financée) par les Etats-Unis. « L’homme blanc qui dirigeait alors la planète, qui a implanté des colonies sur tous les continents, était battu », résume Jean-Luc Ancely, ancien militaire devenu spécialiste de ce conflit. Une armée moderne, mécanisée, appuyée par l’aviation, pouvait donc être défaite par des va-nu-pieds se déplaçant à bicyclette !
Le « Valmy des colonisés »
Subitement, le président vietnamien Hô Chi Minh et le général Giap, vainqueur de Diên Biên Phu, sont devenus les nouveaux héros de ce qu’on commence tout juste à appeler le « tiers-monde ». Les révolutionnaires de tout poil se réfèrent à eux, y compris Fidel Castro et Che Guevara. Diên Biên Phu est le « Valmy des colonisés », selon l’expression de Ferhat Abbas, premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne. Un « puissant détonateur » qui démontre alors que « l’option de l’insurrection à court terme est désormais l’unique remède, la seule stratégie possible », a raconté Benyoucef Benkhedda, qui lui a succédé.
Giap et Hô Chi Minh (derrière, à g. et à dr.) en pleine discussion tactique en 1950. VIET NAM NEWS AGENCY / AFP
Lorsque 22 insurgés algériens se réunissent le 23 juin 1954, dans une villa du Clos Salambier, un quartier populaire d’Alger, pour lancer la « révolution illimitée jusqu’à l’indépendance totale », ils ont tous la débâcle française en tête. Benjamin Stora, qui a longuement interviewé plusieurs d’entre eux, est formel : « Diên Biên Phu fut clairement l’étincelle qui les a décidés à passer à la lutte armée, tous me l’ont dit. »
Mais l’ombre violente de l’Indochine enveloppe aussi l’armée française en Algérie. Beaucoup d’officiers supérieurs sont passés des rizières au djebel. Ils étaient capitaines en Extrême-Orient, ils sont colonels en Afrique du Nord. Ils ont le sentiment trompeur de poursuivre une même guerre, contre un camp qu’ils imaginent communiste et organisé. Ils amalgament abusivement Vietminh et FLN.
Comme en Indochine, ils considèrent qu’ils ne sont pas soutenus dans leur mission par l’« arrière », le pouvoir politique qui, à leurs yeux, n’écoute que sa lâcheté. Le thème du « coup de poignard dans le dos » ressassé en Algérie était déjà présent au Tonkin. Les historiens ne craignent pas de tracer un lien direct entre Diên Biên Phu et le 13 mai 1958 : c’est sous la pression d’officiers basés en Algérie, lassés depuis l’Indochine de l’indécision des politiques de la IVe République, que de Gaulle a ramassé le pouvoir et changé la constitution.
« Guerre révolutionnaire » et « travail de flic »
Certains d’entre eux ont théorisé une nouvelle vision militaire inspirée de leur expérience en Indochine : c’est la « guerre révolutionnaire ». Une doctrine selon laquelle les conflits ne passent plus par des armées rangées sur une ligne de front ; elle se déroule sur l’arrière, par l’encadrement politico-militaire des populations, l’action psychologique, le renseignement (et la torture), les camps de rééducation, le lavage de cerveau, les hiérarchies parallèles.
Après avoir passé deux ans en Indochine, un officier d’état-major est devenu le chantre de cette « guerre révolutionnaire ». Charles Lacheroy donne des conférences, exhibant le « petit livre rouge » de Mao pour mieux appuyer ses démonstrations. En 1956, il est recruté comme conseiller par le ministre de la défense Maurice Bourgès-Monory. Sa doctrine fait son chemin, jusqu’à inspirer officiellement la funeste « bataille d’Alger » de 1957 (même si les méthodes employées alors proviennent surtout de la police de Vichy).
Ce sont des anciens de l’Indochine qui conçoivent et dirigent ce « travail de flic » pour extirper le FLN d’Alger : le général Massu, son directeur de cabinet Hélie de Saint-Marc, les colonels Bigeard, Trinquier, Godard. Plus tard, l’armée américaine au Vietnam et divers dictateurs latino-américains s’imprégneront de cette doctrine française imaginée en Indochine et peaufinée en Algérie.
Depuis son bureau de l’Ecole militaire à Paris, Charles Lacheroy va aider à la préparation du putsch du 22 avril 1961. Le souvenir de l’Indochine est chevillé au corps des officiers qui se rebellent contre le « traître » de Gaulle. « Jamais le putsch d’Alger n’aurait eu lieu sans l’humiliation de la défaite en Indochine », estime Jean-Luc Ancely. Le samedi 22 avril, donc, les généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud s’emparent d’Alger.
Salan et Jouhaud sont deux héros de l’Indochine… de même qu’Hélie de Saint-Marc, qui engage dans cette aventure factieuse le 1er régiment de parachutistes. Le putsch échoue quatre jours plus tard, à la suite de la réaction vigoureuse du général de Gaulle contre le « quarteron de généraux en retraite ». Salan et d’autres conjurés rejoindront l’OAS.
Le « mal jaune »
Si, dès la fin des années 1950, la société française a oublié l’Indochine, les militaires qui ont fait cette guerre entretiennent sa flamme, dans ce que l’historien Denis Leroux appelle « une forme de romantisme militaire ». Ce qui le nourrit : l’aventure, l’héroïsme viril, la brutalité du dépaysement, la douceur des paysages, rizières, brousse, côtes, et montagnes ; la civilisation raffinée, les jonques, les fumeries d’opium (« poison de rêve… qui nous élève », dit la chanson militaire). Mais aussi, note Leroux, « une forme de liberté sexuelle », que ces hommes trouvent dans les bordels militaires de campagne (BMC) ou auprès de congaïs, ces concubines avec lesquelles on se met temporairement en ménage.
De retour en France, les vétérans de l’Indochine sont marqués par une nostalgie qu’ils appellent le « mal jaune », une expression dont Jean Lartéguy titre un de ses romans en 1962. Pour illustrer leur attachement à cette terre lointaine, ils se répètent la fameuse phrase du général Jean de Lattre de Tassigny : « Mon fils n’est pas mort pour la France, il est mort pour le Vietnam. »
Mais à ce mal jaune s’ajoute chez ces anciens de l’Indochine une dureté, une noirceur. Un mal sombre qui les lie les uns aux autres, comme la marque des membres d’une société secrète. A la fin des années 1950, un tout jeune acteur porte cette violence en lui, dans son regard : il s’appelle Alain Delon, il a servi deux ans dans la marine, à Saïgon. Toute sa vie, ce mal sombre va nourrir son personnage à l’écran.
Aujourd’hui encore, dans les écoles militaires de Coëtquidan, on cultive le souvenir de l’« Indo ».De nombreuses promotions sont baptisées du nom d’officiers tombés en Indochine. Il faut dire que cette guerre inutile a infligé une saignée terrible. « Sept promotions de saint-cyriens ont été consommées par l’Indochine » résume abruptement Jean-Luc Ancely. Au total, 2 200 officiers sont tombés au combat, dont 800 issus de Saint-Cyr.
Dans l’armée, le culte de l’« ancien de l’Indo », figure du héros tragique, se perpétue. Dans l’imaginaire français, en revanche, il a pris les traits de l’archétype forgé par les antimilitaristes des années 1960 : la brute au béret rouge que le génial Cabu immortalisera sous les traits de l’« adjudant Kronenbourg ». Et que le parachutiste Jean-Marie Le Pen, sous-lieutenant en Indochine et lieutenant en Algérie, a pris un si grand plaisir à incarner pendant des années.
« Indochine, la colonisation oubliée », le hors-série
Pour acheter le hors-série du « Nouvel Obs » sur l’Indochine, c’est en kiosque dès le 18 avril ou sur la boutique de notre site. L’intégralité de nos articles est aussi à retrouver sur le web dans ce dossier, complété au fil des jours : « Voyage au pays de mes ancêtres », « Histoire d’une longue invasion », « Quand la France était un narco-Etat », « Marguerite Duras, la Vietnamienne », « La naissance du porno-colonialisme », « Hô Chi Minh, un apprenti révolutionnaire à Paris »… et des entretiens avec les écrivains Viet Thanh Nguyen et Eric Vuillard ou l’historien Christopher Goscha.
On dit quand on ne sait pas quoi dire, que l'islam est une religion de soumission. Maudit soit celui qui le dit, juste pour avoir son mot à dire ! Mais admettons et plaidons pour cette soumission. Celle de la femme qui se voile ou celle de l'homme qui s'agenouille dans la rue et prie le Seigneur pour qu'il soulève un coin du voile. Prenons les choses du bon côté, celui de la part bénite et non celui de la part maudite. Celle qui dit: je suis toute ouïe.
Né de la fusion entre L’Orient, fondé en 1924, et Le Jour, fondé en 1934, le quotidien francophone de Beyrouth fête cette année son centenaire. Au fil des guerres et des crises, le journal s’est adapté aux évolutions du Liban ainsi qu’aux nouveaux usages des médias. Dans un contexte de crise économique, il a su se maintenir à flot, et lorgne désormais vers les lecteurs anglophones.
L’Orient-Le Jour, c’est le journal des « tantes d’Achrafieh » (quartier à l’est de Beyrouth), ces vieilles dames chrétiennes qui parlent français entre elles et viennent de la haute société libanaise. Cette image, assumée par le journal lui-même, qui célèbre ses cent ans en 2024, est en passe d’évoluer avec la conquête d’un nouveau public plus jeune et plus international, qui consomme autrement les médias. À l’aube de son centenaire, il était temps de prendre le virage numérique qui entraine inévitablement un bouleversement du ton et des formats. Cette impulsion, déjà entamée il y a plusieurs années, est un nouveau tsunami dans le milieu médiatique au Liban. Pour sortir de son image « tout en l’honorant », le journal avait en effet décidé, il y a 25 ans, de se tourner vers l’avenir en lançant son premier site internet dès la fin des années 1990. L’Orient-Le Jour était ainsi devenu un pionnier du numérique au Moyen-Orient.
Aujourd’hui, le quotidien continue de représenter beaucoup pour les francophones libanais. Car dans un pays marqué par les fractures politiques, il reste une voix libre et non-partisane. La thaoura (révolution) d’octobre 2019, suivie de la pandémie de Covid-19, de l’explosion au port de Beyrouth en août 2020, et dernièrement de la guerre à Gaza et au sud du Liban, ont boosté les abonnements numériques. « Près de la moitié de nos lecteurs se trouvent en France, et huit personnes sur dix qui entrent sur notre site ne vivent pas au Liban », explique Fouad Khoury Hélou, le directeur exécutif du journal. Les audiences montrent l’intérêt de la diaspora libanaise à travers le monde pour ce qu’il se passe dans le pays et plus largement dans la région. L’explosion au port de Beyrouth, qui a emporté une partie de la ville le 4 août 2020, a vu les audiences tripler. Le même phénomène a été observé après le tremblement de terre en Turquie, début février 2023, dont les secousses ont été ressenties jusqu’au Liban.
Marc Farra, 33 ans, est un Libanais francophone qui travaille pour une entreprise aux États-Unis où il a vécu une partie de sa vie. Ses parents sont abonnés à la version papier de L’Orient-Le Jour, et lui est abonné à la version en ligne de L’Orient Today. « C’est l’un des seuls médias libanais pour lesquels je suis prêt à payer. Le contenu est centriste, non-partisan, et je leur fait confiance, même s’ils tombent parfois dans de la pure francophonie ». Cet avis est partagé par de nombreux jeunes Libanais trilingues. Éduqués dans les écoles françaises, mais ayant vécu et travaillé dans des pays anglophones, ils gardent un œil sur leur pays d’origine. Marc fait partie de ces Libanais de l’étranger qui sont rentrés à la suite de la thaoura. Impliqué dans la vie communautaire, il continue de croire en son pays. « C’est pour cette raison que l’on se bat tous les jours au journal », appuie l’un des rédacteurs en chef, Anthony Samrani. « On croit au Liban, et on veut continuer de produire un journal libre, qui critique à la fois l’Iran, l’Arabie Saoudite, et Israël, tout en condamnant les attaques du Hamas le 7 octobre ».
« COMME UN LIVRE, LE JOURNAL A UNE ÂME »
Joumana Jamhouri était abonnée à la version papier de L’Orient-Le Jour depuis des années cependant, comme de nombreux Libanais, il a fallu réduire les dépenses. « Nous sommes passés à l’abonnement numérique, mais c’est temporaire. Dès que notre situation financière s’améliore, je veux absolument repasser à l’abonnement papier ». Ses amis préfèrent eux aussi la version papier, tels June Nabaa et son mari : « C’est comme un livre, le journal papier a une âme ». Ils racontent être abonnés à L’Orient-Le Jour depuis 1986, « la date de notre mariage ». Une certaine génération, attachée au papier, qui perdure mais ne durera pas pour toujours. « Si, demain, nous arrêtons la version papier de L’Orient-Le Jour, certains de nos lecteurs penseront que nous avons complètement disparu », remarque Fouad Khoury Hélou. Cette idée ne convainc personne dans les locaux du journal car la version papier est en elle-même rentable. Son prix est passé de 3 000 livres libanaises avant la crise, soit l’équivalent de 1,80 euros, à 200 000 livres libanaises aujourd’hui, l’équivalent, d’environ 2 euros, après la dévaluation de la monnaie locale face au dollar1.
Il s’agit surtout de dépoussiérer l’image du journal et de partir en quête d’une audience qui a perdu tout intérêt pour les médias traditionnels. « C’est l’effet Trump », analyse Fouad Khoury Hélou. Ainsi, le journal a lancé L’Orient Today, sa version web en anglais, en toute humilité. « Nous savons bien qu’il n’est pas possible de concurrencer les grands médias anglophones de la région », admet-il. Mais considéré comme une source fiable par une nouvelle fraction de Libanais non francophones, le site a tout de même acquis une notoriété.
LE SUCCÈS DES NOUVEAUX FORMATS
« Nous avons réussi à faire de belles choses à L’Orient Today, des formats plus courts et plus didactiques, c’est ce que demande la nouvelle génération, explique pour sa part Marie-José Daoud, ex rédactrice en chef de la version anglophone qui vient tout juste de quitter son poste. « Une partie de notre contenu est une traduction des articles de la version française », précise-t-elle. Les équipes de journalistes francophones et anglophones sont elles aussi plus jeunes, et habituées aux nouveaux médiums d’information. Le format vidéo, diffusé via les réseaux sociaux, a été intégré dans le courant de l’année 2022, afin de s’adapter aux nouveaux formats des médias et à des habitudes de consommation différentes. « Nous sommes passés d’un journal à un média », résume ainsi Fouad Khoury Hélou.
Dans un pays sous perfusion étrangère, dont l’électricité provient pour l’essentiel de générateurs privés, avec un taux du dollar fluctuant, faire fonctionner un journal implique d’avoir la foi. « Nous croyons en notre voix de quotidien francophone libre, c’est pour cela que nous continuons malgré les difficultés du pays », affirme Anthony Samrani avant d’ajouter que « les cent ans du quotidien sont une étape mais pas une fin en soi, une façon de regarder notre immense héritage, de l’assumer, et d’avancer dans une nouvelle direction ».L’Orient-Le Jour jouit en réalité d’une liberté éditoriale rare dans la région. Pouvoir critiquer l’Arabie saoudite, Israël et l’Iran tout en continuant d’exister s’avère un défi au Moyen-Orient. C’est pourtant bien la raison d’être à la base de ce journal, aujourd’hui centenaire.
L’Orient-Le Jour, c’est le journal des « tantes d’Achrafieh » (quartier à l’est de Beyrouth), ces vieilles dames chrétiennes qui parlent français entre elles et viennent de la haute société libanaise. Cette image, assumée par le journal lui-même, qui célèbre ses cent ans en 2024, est en passe d’évoluer avec la conquête d’un nouveau public plus jeune et plus international, qui consomme autrement les médias. À l’aube de son centenaire, il était temps de prendre le virage numérique qui entraine inévitablement un bouleversement du ton et des formats. Cette impulsion, déjà entamée il y a plusieurs années, est un nouveau tsunami dans le milieu médiatique au Liban. Pour sortir de son image « tout en l’honorant », le journal avait en effet décidé, il y a 25 ans, de se tourner vers l’avenir en lançant son premier site internet dès la fin des années 1990. L’Orient-Le Jour était ainsi devenu un pionnier du numérique au Moyen-Orient.
Aujourd’hui, le quotidien continue de représenter beaucoup pour les francophones libanais. Car dans un pays marqué par les fractures politiques, il reste une voix libre et non-partisane. La thaoura (révolution) d’octobre 2019, suivie de la pandémie de Covid-19, de l’explosion au port de Beyrouth en août 2020, et dernièrement de la guerre à Gaza et au sud du Liban, ont boosté les abonnements numériques. « Près de la moitié de nos lecteurs se trouvent en France, et huit personnes sur dix qui entrent sur notre site ne vivent pas au Liban », explique Fouad Khoury Hélou, le directeur exécutif du journal. Les audiences montrent l’intérêt de la diaspora libanaise à travers le monde pour ce qu’il se passe dans le pays et plus largement dans la région. L’explosion au port de Beyrouth, qui a emporté une partie de la ville le 4 août 2020, a vu les audiences tripler. Le même phénomène a été observé après le tremblement de terre en Turquie, début février 2023, dont les secousses ont été ressenties jusqu’au Liban.
Marc Farra, 33 ans, est un Libanais francophone qui travaille pour une entreprise aux États-Unis où il a vécu une partie de sa vie. Ses parents sont abonnés à la version papier de L’Orient-Le Jour, et lui est abonné à la version en ligne de L’Orient Today. « C’est l’un des seuls médias libanais pour lesquels je suis prêt à payer. Le contenu est centriste, non-partisan, et je leur fait confiance, même s’ils tombent parfois dans de la pure francophonie ». Cet avis est partagé par de nombreux jeunes Libanais trilingues. Éduqués dans les écoles françaises, mais ayant vécu et travaillé dans des pays anglophones, ils gardent un œil sur leur pays d’origine. Marc fait partie de ces Libanais de l’étranger qui sont rentrés à la suite de la thaoura. Impliqué dans la vie communautaire, il continue de croire en son pays. « C’est pour cette raison que l’on se bat tous les jours au journal », appuie l’un des rédacteurs en chef, Anthony Samrani. « On croit au Liban, et on veut continuer de produire un journal libre, qui critique à la fois l’Iran, l’Arabie Saoudite, et Israël, tout en condamnant les attaques du Hamas le 7 octobre ».
« COMME UN LIVRE, LE JOURNAL A UNE ÂME »
Joumana Jamhouri était abonnée à la version papier de L’Orient-Le Jour depuis des années cependant, comme de nombreux Libanais, il a fallu réduire les dépenses. « Nous sommes passés à l’abonnement numérique, mais c’est temporaire. Dès que notre situation financière s’améliore, je veux absolument repasser à l’abonnement papier ». Ses amis préfèrent eux aussi la version papier, tels June Nabaa et son mari : « C’est comme un livre, le journal papier a une âme ». Ils racontent être abonnés à L’Orient-Le Jour depuis 1986, « la date de notre mariage ». Une certaine génération, attachée au papier, qui perdure mais ne durera pas pour toujours. « Si, demain, nous arrêtons la version papier de L’Orient-Le Jour, certains de nos lecteurs penseront que nous avons complètement disparu », remarque Fouad Khoury Hélou. Cette idée ne convainc personne dans les locaux du journal car la version papier est en elle-même rentable. Son prix est passé de 3 000 livres libanaises avant la crise, soit l’équivalent de 1,80 euros, à 200 000 livres libanaises aujourd’hui, l’équivalent, d’environ 2 euros, après la dévaluation de la monnaie locale face au dollar1.
Toutefois l’avenir est au numérique, alors le journal s’adapte et mise depuis une dizaine d’années sur son site internet et son application mobile. La majorité des visites de la version en ligne sont issues de l’étranger, dont 40 % de la France, et le reste du Golfe, du Canada, ou de l’Australie, qui concentrent une forte communauté libanaise. Ce sont ces meghterbin (expatriés) comme on les appelle au Liban, que le journal souhaite attirer. « Nous avons atteint un plafond au Liban, la moitié de nos abonnés vivent ici, et l’autre moitié réside à l’étranger. Nous voulons pousser ces libanais de l’étranger à s’abonner au site », appuie le directeur.
Il s’agit surtout de dépoussiérer l’image du journal et de partir en quête d’une audience qui a perdu tout intérêt pour les médias traditionnels. « C’est l’effet Trump », analyse Fouad Khoury Hélou. Ainsi, le journal a lancé L’Orient Today, sa version web en anglais, en toute humilité. « Nous savons bien qu’il n’est pas possible de concurrencer les grands médias anglophones de la région », admet-il. Mais considéré comme une source fiable par une nouvelle fraction de Libanais non francophones, le site a tout de même acquis une notoriété.
LE SUCCÈS DES NOUVEAUX FORMATS
« Nous avons réussi à faire de belles choses à L’Orient Today, des formats plus courts et plus didactiques, c’est ce que demande la nouvelle génération, explique pour sa part Marie-José Daoud, ex rédactrice en chef de la version anglophone qui vient tout juste de quitter son poste. « Une partie de notre contenu est une traduction des articles de la version française », précise-t-elle. Les équipes de journalistes francophones et anglophones sont elles aussi plus jeunes, et habituées aux nouveaux médiums d’information. Le format vidéo, diffusé via les réseaux sociaux, a été intégré dans le courant de l’année 2022, afin de s’adapter aux nouveaux formats des médias et à des habitudes de consommation différentes. « Nous sommes passés d’un journal à un média », résume ainsi Fouad Khoury Hélou.
Dans un pays sous perfusion étrangère, dont l’électricité provient pour l’essentiel de générateurs privés, avec un taux du dollar fluctuant, faire fonctionner un journal implique d’avoir la foi. « Nous croyons en notre voix de quotidien francophone libre, c’est pour cela que nous continuons malgré les difficultés du pays », affirme Anthony Samrani avant d’ajouter que « les cent ans du quotidien sont une étape mais pas une fin en soi, une façon de regarder notre immense héritage, de l’assumer, et d’avancer dans une nouvelle direction ».L’Orient-Le Jour jouit en réalité d’une liberté éditoriale rare dans la région. Pouvoir critiquer l’Arabie saoudite, Israël et l’Iran tout en continuant d’exister s’avère un défi au Moyen-Orient. C’est pourtant bien la raison d’être à la base de ce journal, aujourd’hui centenaire.
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